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La route vers la France

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Rosa

La route vers le liban

01/04/2015

C’était une nuit difficile. Nous n’arrivions pas à dormir. Ma maman, mon frère et moi-même étions assis dans le grand séjour de notre bel appartement. Notre appartement est divisé en plusieurs coins de vie: un coin séjour, un coin repas avec sa grande table à manger prévue
pour 8 personnes et ses chaises abîmées à force d’être utilisées.
Notre appartement a toujours été un lieu d’accueil, ouvert à nos invités tous les jours, avec qui on partageait des repas, des discussions et des moments de pure joie. Le coin repas donne sur l’extérieur, côté balcon. Ce dernier est rempli de plantes vertes que maman a plantées. La cuisine est ouverte sur le séjour, à l’américaine, c’était un choix fait par ma famille, pour faciliter les allers retours depuis la cuisine, et pour rester avec les invités vu que les préparations des repas prennent beaucoup de temps.

Nous étions là tous les trois à discuter de notre départ imminent, à étudier toutes les possibilités parce qu’on ne sait pas ce que le futur nous réserve. Maman quant à elle, n’arrêtait pas de nous donner des conseils, de nous mettre en garde de ceci ou de celà, de nous demander de l’appeler régulièrement en nous rappelant à rester courageux et optimistes.

Quelques heures avant le départ, j’ai décidé de dire au revoir à ma ville, Damas.
Je suis sortie avec mon amie pour nous promener et jeter un dernier coup d’œil aux endroits que j’aime pour les garder en mémoire pendant mon absence, cette absence dont je ne sais pas combien de temps elle durera. Nous avons visité la “Tekkiye Suleimaniye”, le café du Musée National, le marché de Saroujah et son café “La Roche”. Je ressentais une profonde tristesse en disant au revoir au pays, au revoir à mon père qui est décédé peu de temps avant. Cette tristesse restera sûrement avec moi pour toujours.
Le chauffeur nous a appelés pour nous informer qu’il était devant la maison. Le moment est arrivé. Un mélange étrange de sentiments m’a envahi, mêlant l’inquiétude, la peur, la tristesse et la joie en même temps.

Dans la voiture, mon petit frère Najm s’est installé à côté de moi, il me regardait et dans ses yeux je lisais sa question.. “es-tu sûre que nous allons arriver sains et saufs?” Pour le rassurer, je souriais et racontais des blagues malgré toute la peur qui me démangeait de l’intérieur. Notre destination était : l’inconnu. Et nous devions traverser un long chemin périlleux : la Syrie, le Liban, la Turquie, le Brésil jusqu’à la Guyane française, pour arriver en France.
Tout au long de ce premier trajet, je ressassais ces sentiments de déception, de peur, de désespoir et de tristesse qui nous ont envahi ces dernières années, et nous ont poussé à prendre la décision de quitter le pays malgré tous les dangers et les difficultés auxquels nous pourrions être confrontés.

Le chauffeur, qui est originaire de notre ville, Sahnaya, et qui avait bien connu mon père, nous parlait tout au long du trajet, nous rassurait et nous encourageait, tout en priant pour le repos de l’âme de mon père de temps en temps.
C’est l’une des choses que j’admire le plus dans mon pays : c’est de se sentir toujours entouré de personnes disponibles pour aider, et même si elles ne peuvent pas, elles vous soutiennent moralement. Je n’oublierai jamais les commerçants qui nous appelaient avec insistance et crainte afin d’entrer se cacher dans leurs boutiques, puis fermaient leurs portes pour nous protéger des forces de l’ordre qui nous poursuivaient en nous tirant dessus pendant les manifestations de masse dans la ville.

Nous sommes arrivés au poste-frontière syrien, et là, mon cœur s’est mis à battre très fort par crainte d’être arrêtée et interrogée pendant un long moment, ce qui pourrait entraver la poursuite du voyage.
Nous avons remis nos passeports. Le responsable de la sécurité a commencé à vérifier et à examiner les visas, et il nous a demandé la raison de notre voyage au Liban.
Je ne me souvenais plus du tout de ma réponse tant j’étais terrifiée.
Nous sommes passés, en sécurité.
Devant le poste côté libanais, il y avait une centaine de personnes qui faisaient la queue. C’était le chaos..les fonctionnaires se disputaient avec les personnes qui attendaient, et ces dernières se disputaient entre elles. Le garde qui était là nous a demandé : “vous êtes syriens”?
J’ai répondu : “oui, et avons besoin d’un visa d’une durée de 24 heures seulement”
Il m’a répondu : “on ne dirait pas que vous êtes syrienne, vous êtes bien habillée, les syriens qu’on voit au Liban sont tous pauvres et affamés”.
Je l’ai regardé avec amertume, et je lui ai répondu : “ce sont des réfugiés, ils ont fui la mort sous les bombes, ils ont tout laissé derrière eux, leur travail,leur maison, leur terre, leurs boutiques, et sont partis qu’avec les vêtements qu’ils portaient sur eux. Voilà pourquoi ils sont pauvres.”
Je voulais ajouter, que la mafia sectaire qui contrôle le Liban était aussi complice de leur déplacement et de leur appauvrissement, mais j’avais peur que cet homme nous fasse du tort et nous empêche de poursuivre notre voyage.
Nous avons obtenu le visa et sommes directement allés à l’aéroport “Rafic Hariri”. Nous avons pris l’avion pour Istanbul.
C’était ma première visite au Liban, un pays dont beaucoup d’amis me parlaient en vantant sa beauté, mais malheureusement je n’ai pas eu cette impression à cause du comportement discriminatoire et raciste de certains employés aux frontières et à l’aéroport.

La route vers la Turquie
02/04/2015

Nous sommes arrivés au grand aéroport d’Istanbul et la première chose qu’on avait faite était d’appeler maman pour lui donner de nos nouvelles.
Un ami nous attendait à l’aéroport pour nous accompagner pour le dîner. On avait du temps avant notre prochain vol.
Lorsque je marchais dans les ruelles d’Istanbul et ses rues pavées, j’avais l’impression d’être à Damas. Ce n’était pas mon premier voyage en Turquie, par contre c’était ma première à Istanbul. Les rues, les ruelles et les bâtiments ne m’étaient pas étrangers, au contraire tout avait l’air familier.
Nous avons mangé dans un des restaurants de la célèbre rue Istiklal. Après nous sommes allés chez notre ami pour nous doucher, se changer et nous sommes repartis à nouveau vers l’aéroport.
Là bas, nous avons rejoint la file d’attente. Il y avait une file pour les voyageurs turcs et une autre pour les étrangers, comprenant des Syriens, des Yéménites, des Afghans et d’autres nationalités. Nous avons passé une heure entière entre la vérification de nos passeports, les questions sur l’obtention du visa pour le Brésil et les raisons de notre voyage.
Il est connu que les Turcs ne maîtrisent généralement que leur langue maternelle, mais grâce à ce qu’il me restait du turc en mémoire, j’ai pu finaliser les formalités et rejoindre l’avion, alors que le dernier appel aux passagers était lancé, annonçant la fermeture imminente des portes.
Je ne savais pas ce qui se passait dans l’esprit de mon frère, qui continuait à contempler l’endroit et à prendre des photos souvenirs comme s’il était un touriste. Il se mettait en colère à la moindre remarque de ma part. Il allait même jusqu’à m’observer pour anticiper ses actions.

La route vers le Brésil
03/04/2015

Le vol a duré 12 heures, durant lesquelles nous avons regardé quelques films, mangé deux repas et dormi un peu. Nous sommes enfin arrivés en amérique du sud, un endroit tellement loin de chez nous, un endroit où je ne me voyais même pas en touriste et m’y voilà en tant que réfugiée.
Nous étions à l’aéroport de São Paulo. Il était immense. Il était huit heures du soir. Nous avions deux options : soit rester à l’aéroport pour prendre notre prochain vol prévu le lendemain à huit heures du matin direction la ville de Macapá (Brésil), soit nous rendre à un hôtel proche de l’aéroport. Et comme nous avions entendu dire que São Paulo était une ville dangereuse et qu’il n’était pas recommandé de s’y promener la nuit, nous avions choisi de rester à l’aéroport.
Nous nous sommes promenés dans l’aéroport, pris un repas dans un restaurant de “fast food”. Nous étions tous les deux dans un état de stupeur, submergés par des sentiments d’inquiétude vis-à-vis du futur inconnu, et en même temps nous avions envie d’explorer cet endroit. J’ai dit à Najm : « Je n’arrive pas à croire que nous sommes au Brésil, c’est vraiment fou. » Il a ri et a dit : « Tu as raison, nous sommes des fous. »
Autour de nous, les gens étaient des quatre coins du monde, il y en avait qui parlaient le portugais, d’autres l’anglais ou encore le français.

A l’aéroport, nous avons choisi deux bancs côte à côte. Nous nous sommes mis d’accord de se relayer pour dormir afin de surveiller nos bagages. Najm a dormi le premier.
Depuis mon banc en bois, j’observais les gens comme si j’étais à l’extérieur de ce monde. Il y avait ceux qui se dépêchaient car ils étaient en retard, ceux qui prenaient des photos avec leurs amis, ceux qui se disaient au revoir ou se retrouvaient…
L’aéroport s’était vidé de ses passagers et le calme l’avait envahi. Je commençais à me sentir de plus en plus fatiguée. J’ai réveillé Najm. Il était trois heures du matin et j’avais environ trois heures de sommeil devant moi.

Je me suis réveillée à six heures du matin. Les rayons du soleil commençaient à pénétrer dans la pièce apportant un peu de chaleur et beaucoup d’espoir mêlé à l’anxiété de l’inconnu. J’ai regardé Najm et j’ai vu que ses yeux étaient rouges de fatigue. Il a dit : « Allons prendre un café, peut-être que cela va me réveiller. »
Nous avons bu un café, puis nous nous sommes dirigés vers la porte d’embarquement, à destination de Macapa. La durée de vol était de quatre heures. L’avion ressemblait à un bus de transport en commun, il n’y avait pas de numéros de sièges, chacun choisissait sa place. L’hôtesse de l’air passait entre les sièges pour vendre des sachets de chips et des boissons.
Aujourd’hui, avec Najm, à chaque fois qu’on se souvient de cette histoire, on éclate de rire.
Nous sommes arrivés à Macapa et nous avons décidé d’y rester pour la journée pour nous reposer, nous doucher et aussi nous promener dans cette petite ville.
Nous étions très surpris d’entendre de la musique tout le long de notre trajet en allant à l’hôtel.
Nous ressentons une grande énergie de joie émanant de cette ville malgré sa pauvreté. Les rues étaient chaotiques, ses habitants semblaient marqués par la pauvreté et le bonheur en même temps. Ils riaient et plaisantaient avec spontanéité.
Après un petit temps de repos, nous avons décidé de visiter la ville surtout que Najm adore prendre des photos.
La ville était toute petite ; ça nous avait pris qu’une heure de marche pour la parcourir entièrement. Nous avons commencé à avoir faim. Nous sommes entrés dans un restaurant modeste et avons dégusté un repas brésilien.
Le lendemain matin, nous avons pris notre petit-déjeuner dans un restaurant. Je pensais que ce serait similaire à notre petit-déjeuner habituel (syrien), mais j’étais surprise de voir qu’il se composait d’une variété de fruits exotiques, du beurre, du pain grillé, de la confiture et de jus de fruits. J’étais ravie car j’adore les fruits.

Après le petit déjeuner, nous sommes allés à la gare routière. Nous avons pris le car à destination d’Oiapoque. Le trajet a duré 12 heures pendant lesquelles nous avons traversé une partie de la forêt amazonienne.
A partir d’Oiapoque, la situation commençait à devenir sérieuse. Nous avions rendez-vous sur les berges du fleuve Saint Georges avec un pêcheur qui allait nous faire traverser vers l’autre rive du fleuve, du côté de la Guyane française le lendemain matin à 8 heures.
Nous avions pris une chambre d’hôtel qui donnait sur le fleuve. La vue était magnifique, et la lune se reflétait dans les eaux cette nuit.
Najm n’avait jamais envisagé de quitter la Syrie. Durant tout le voyage il me répétait : “rentrons chez nous, je n’ai pas envie de partir”. Il était très attaché à son chez soi, à ses amis, son quartier et ses endroits préférés.
Et moi aussi, je ressentais une grande tristesse et un grand vide à l’intérieur de moi, mais j’étais convaincue que rester en Syrie était dangereux pour nous et que l’avenir nous apporterait sécurité et paix.

La route vers la France
07/04/2015

Dans le bateau il y avait mis à part le pêcheur brésilien, deux touristes français. La traversée a duré 30 minutes.
Les deux touristes avaient envie de discuter, ils nous posaient des questions avec un grand sourire : “vous venez d’où, et vous allez où après” ? Ils croyaient que nous étions également des touristes et ils nous donnaient des idées pour des visites à faire en Guyane. A un moment je me suis dit : “celui qui sait, sait, et celui qui ne sait pas dirait que ce n’est qu’une poignée de lentilles”* (un proverbe syrien qui signifie que quand on ne connaît pas la vérité on peut tout mal interpréter).
Nous sommes arrivés côté Guyane. J’ai demandé de suite à la première personne où se trouvait la gendarmerie. Elle m’a regardée bizarrement et m’a indiqué le chemin.
Mon cœur battait la chamade. pour une syrienne, la gendarmerie ou l’uniforme m’a toujours effrayé.
J’ai expliqué notre situation au premier gendarme que j’ai croisé en précisant que nous souhaitions faire une demande d’asile. Il nous a regardés gentiment, nous a demandé nos passeports et nous a priés de patienter.
Nous avons dû attendre presque une heure pendant laquelle j’étais dévorée par l’inquiétude. Il était de retour, et m’avait demandé d’aller dans le bureau seule.
Je ne saurais pas décrire mon état mental lorsque j’ai vu deux inspecteurs dans ce bureau. C’est un traumatisme connu par tout syrien face à n’importe quel membre de force de l’ordre.
Les deux inspecteurs ont bien compris à quel point j’étais terrorisée. Ils m’ont demandé si j’avais de la famille en France. J’ai acquiescé. Ils m’ont autorisé à passer un appel téléphonique.
J’ai appelé une membre proche de notre famille qui habite à Paris depuis plusieurs années. J’étais en contact régulier avec elle pendant tout notre périple pour la prévenir de notre arrivée.
Elle avait directement hurlé de joie: “louange à Dieu pour votre arrivée en sécurité”* (une expression syrienne courante qu’on utilise lorsque quelqu’un arrive d’un voyage sain et sauf)
A cette parole, j’ai réalisé que nous étions bien arrivés sains et saufs et j’ai éclaté en sanglots. Je ne saurais pas dire pourquoi j’ai craqué ainsi, moi, qui avait toujours su contrôler mon tempérament et mes sentiments. Je me suis excusée auprès des inspecteurs tellement cela m’était gênant.
Mon comportement les a étonné, toute cette histoire leur était incompréhensible. Quant à moi, je me suis enfin sentie libérée d’un gros poids. Nous voilà enfin arrivés sains et saufs.
A suivre…