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Samar

Less than 1 minute Minutes

Je ne me souviens pas de notre première rencontre. Mais peu importe. L’important c’est de l’avoir rencontrée.
c’était en 2012, peu de temps avant le début des opérations militaires à Alep. Quelques mois avant le ramadan.

Nous étions au « couvent Saint Vartan » des Pères Jésuites dans le quartier de Midan, où nous avons commencé à accueillir les familles déplacées venues à Alep depuis Homs, Idleb et Deir ez-Zor, où les bombardements du régime sur les zones insurgées s’étaient intensifiés, poussant des milliers de civils à quitter leurs maisons et à chercher refuge à Alep. À ce moment-là, le soulèvement à Alep s’était manifesté par une aide humanitaire.

Nous étions un groupe de bénévoles croyant en la révolution. Nous avons appelé notre groupe “la famille”. Pendant des mois, nous avons travaillé à fournir des logements à des dizaines de familles déplacées et à leur fournir des produits alimentaires et médicaux.

J’ai rencontré Samer pour la première fois en compagnie de Mayzar Matar au couvent Saint Vartan. Ils avient entendu parler de notre groupe, et sont venus travailler avec nous. Nous avions, du moins à cette époque, une politique implicite, qui s’est imposée au regard du contexte sécuritaire, exigeant de nous assurer de l’adhérence des bénévoles à la révolution. c’est grâce à cette politique que l’on garantissait notre sécurité et celle des familles que nous aidions. Je ne me souviens pas qui nous avait “garanti” Samar, mais il est apparu clairement qu’elle était plus noble que toute recommandation ou garantie.

Je n’ai plus en tête notre première discussion, mais je me rappelle ce qui me traversait l’esprit à ce moment-là : “Où étiez-vous et où étions-nous, et comment nous n’avons pas pu nous rencontrer auparavant ? Ce régime d’horreur avait réussi pendant des décennies à empêcher des personnes comme nous de se rencontrer, jusqu’à ce que la révolution nous rassemble”.

Voici mon ressenti lorsque j’ai fait la connaissance de cette jeune femme d’Al-Atareb, belle de cœur et d’apparence, résistante à l’injustice, rebelle contre les normes sociales et la dictature, celle au bon cœur qui ne désespère jamais, celle qui ne laisse jamais tomber.

Je me souviens également qu’à un moment, nous nous sommes rendus compte que je connaissais sa sœur Racha. Celà a rendu notre amitié plus familiale.

Depuis ma première rencontre avec Samar, plusieurs moments clés m’ont réuni avec elle, dessinant radicalement le cours de cette période pour moi.
Le premier de ces moments était le jour de l’exode massif à Alep, lorsque les bombardements ont commencé sur le quartier de Salah al-Din et ses environs.

Samar et moi étions en réunion avec un autre groupe de bénévoles venant de différentes initiatives, discutant des moyens pour fournir des logements aux déplacés. La réunion a abouti à la décision d’ouvrir les écoles publiques et de les transformer en centres d’accueil collectifs.

Après la réunion, nous nous sommes dirigés vers l’école « Houda Cha’arawi » dans le quartier « Al-Zehoures ». Nous avons réussi à convaincre le gardien que nous avions l’autorisation du ministère de l’éducation nationale. De la même manière, nous avons pu nous installer dans l’école voisine « Iskandaroune », dont Samar était devenue responsable avec son ami Ahmad Akleh.

En peu de temps, Samar est devenue une amie pour les familles réfugiées au centre d’accueil, ainsi qu’une mère pour leurs enfants. Elle tenait à passer du temps de qualité avec ces enfants pour atténuer leurs traumatismes de la guerre et du déplacement, soulageant ainsi les parents de leurs enfants devenus turbulents.

Lors d’une autre occasion, Samar m’a accompagné à l’invitation d’un prêtre pour visiter une activité de jeunesse, l’une des initiatives chrétiennes les plus populaires dans la société aleppine, que l’on peut considérer comme bourgeoise.
Certains parmi les participants ont exprimé leurs inquiétudes vis-à-vis de la révolution, craignant l’islamisation de celle-ci. Alors qu’à cette période là, la révolution était encore protégée par son caractère civil.
Mais, la peur de l’autre, de sa différence, était un facteur exacerbant ces inquiétudes. Samar s’est présentée à cette activité en expliquant ce que la révolution signifiait pour elle. Elle a pris en compte les préoccupations des jeunes, et avec spontanéité a déconstruit chacune des peurs fondées sur un attachement géographique, religieux ou social qui séparent les résidents d’Alep de sa banlieue.
Les participants étaient profondément touchés par cet échange sincère et les réactions étaient variées. Je ne sais pas si certains ont ensuite revu leurs idées après cette réunion, mais je suis convaincu que ce qu’ils ont entendu dépassait le moment présent. C’était en soi porteur des éléments de plusieurs révolutions, et pas seulement d’une seule révolution.

Plus tard, lors d’une de nos tables rondes à “Iskandaroune”, Samar nous a annoncé qu’elle avait obtenu une bourse pour un master en archéologie mais qu’elle n’avait pas envie de l’accepter. Je pense que c’était la deuxième fois où elle était prête à laisser tomber ses rêves au service de la révolution. Sa détermination me fascinait.
Cette fois-ci, nous, le groupe présent, l’avons presque forcé à accepter la bourse afin de réaliser son rêve. Il fallait qu’elle aille finir ses études à l’étranger. La Syrie a tellement besoin d’archéologues, surtout s’ils possèdent les mêmes valeurs que Samar.

Peu de temps après, nous nous sommes réunis, pour lui dire au revoir. Maissa, sa sœur était là, elle a filmé des moments de cette réunion qu’elle nous a partagé quelques années plus tard. Elle a ri, et nous avons ri. Nous avons pleuré, et elle a pleuré.
Nous ne savions pas que cette rencontre était la dernière. Des membres de Daech l’ont enlevée dans sa ville d’Al-Atarib alors qu’elle y effectuait une visite quelques mois après le début de ses études à l’étranger. Ils l’ont fait disparaître de force, loin de sa famille et de ses proches, avec son compagnon de militantisme, le photographe journaliste Mohamed Al-Omar.
Ils l’ont enlevée parce qu’elle était leur ennemie numéro un : c’était la jeune femme de leur bourg qui avait refusé de se soumettre à leurs répressions et injustices. Comment aurait-elle pu se soumettre alors qu’elle était une révolutionnaire libre, luttant contre les pires dictatures du monde ? »
Samar a disparu avec Mohamed, et nous attendons toujours de connaître leur sort et leur retour le plus tôt possible. Samar n’était rien de moins que l’incarnation magnifique de notre révolution, une manifestation de nos plus grands rêves, une réalité qu’ils ne pourront jamais effacer, quoi qu’ils fassent.

Merci Samar pour ce que tu es, merci pour ce que tu as fait, et désolé que ton rêve ne se soit pas encore réalisé. Mais le rêve perdure.